Le travail de Camille Legrand (1872-1940) est peu médiatisé. Il est pourtant un véritable aventurier du cinéma, présent dès les débuts de l’entreprise Pathé frères dont il devient l’ambassadeur à l’international.
Camille Legrand commence en tant que mécanicien quand il entre dans l’entreprise Pathé des débuts et travaille comme ouvrier dans les théâtres de prises de vues de Pathé. En 1901, Ferdinand Zecca, directeur de la branche cinématographique, décide d’intensifier la production de films. Camille Legrand est formé à la photographie et au maniement de la caméra. Sa carrière d’opérateur débute en 1902. Il est d’abord envoyé en Russie, pour suivre le déplacement du Président Émile Loubet, puis en Angleterre pour couvrir le couronnement du roi Édouard VII. Il tourne ensuite de plus en plus de « scènes de plein air », pour le compte de la société Pathé qui distribue ces vues dans le monde entier avant d’ouvrir ses propres salles pour les diffuser. Camille Legrand s’essaie même au film « à trucs » en 1903 avec une scène dans laquelle une domestique fixe des tableaux sur un mur, en effectuant un déplacement ascensionnel qui défie la pesanteur. Il part pour l’Espagne avec Ferdinand Zecca en 1904 et tourne des scènes de tauromachie. Il se fait remarquer par Zecca, également réalisateur de fictions, par ses prouesses techniques : il réussit à suivre son sujet latéralement, bien cadré, en conservant la mise au point, tout en tournant la manivelle. De plus, Camille Legrand a le souci de la narration et ses scènes suivent un scénario. Il se rend ensuite en Italie, où il tourne douze tableaux réunis sous l’intitulé Excursion en Italie, où l’on observe des travellings, des paysages filmés depuis un train, un funiculaire ou une gondole.
À son retour en France en 1906, Camille Legrand se lance dans une autre aventure, tout aussi dangereuse que ses expéditions lointaines : filmer l’expédition Vallot, l’ascension du Mont-Blanc par des alpinistes chevronnés. Un article paru dans La Revue illustrée du Mont-Blanc et de Chamonix relate l’exploit de Camille Legrand, le premier à parvenir à suivre l’expédition et à « cinématographier une avalanche de rochers tout à fait remarquable » et d’autres scènes impressionnantes comme la chute d’un porteur dans une crevasse. C’est également un exploit physique et technique. Il faut acheminer le matériel et les 16 000 mètres de pellicule nécessaires sur un terrain dangereux et soumis à des conditions climatiques extrêmes. L’huile des rouages de la caméra gèle. Les scènes sont tournées à deux caméras pour permettre des plans différents. L’Ascension du Mont-Blanc fait date dans l’histoire du cinéma, contribuant à la notoriété de Pathé. Ce film vaut à Camille Legrand la reconnaissance de la firme Pathé et la direction du théâtre de prise de vues à Montreuil lui est confiée en 1908, pour encadrer une équipe d’opérateurs. Mais en mars 1909, il abandonne ce poste pour retourner filmer en Asie. C’est la guerre qui l’oblige à revenir en France. Pathé l’envoie participer aux prises de vues de la Section cinématographique de l’armée (SCA) avec un autre opérateur, Alfred Machin, de mars 1915 à août 1916. En 1920, quand sa collaboration avec Pathé cesse, il fait un dernier grand voyage et s’installe à Calcutta pour mettre en scène des films de fiction d’après des légendes du Bengale pour la société Madan Theâtre.